La politique des météores

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La politique des météores

Il y a des forces qui sont inexplicables, incompréhensibles, plus que ce qui est. Elles peuvent inverser le cours du monde. Ces forces ne sont pas des dieux, ce sont des météores.

Les météores sont des phénomènes célestes, imprévisibles et uniques en leur genre. Ils apparaissent sans cause, traversent le ciel, laissent un petit instant une trace claire et puis après disparaissent. Mais les météores, les phénomènes du temps – de Kairos et non de Kronos – sont aussi des densifications, des raréfactions et des accélérations des corps, des non-sans corps, leur mélange, un début de tourbillonnement de leur front. Les météores sont le nom d’événements qui passent. Les météores sont des événements qui persistent.

Dans un monde où tout est stable, les météores font exception. Dans un monde qui est ouvert, imprévisible, dont le destin n’est pas un fatum, mais se voit créer dynamiquement par le jaillissement de forces et de désirs, coïncidant ou ne coïncidant point, se croisant ou se mélangeant, mais immuablement irréductibles, les météores sont la déclinaison du monde.

La météorologie, la science des phénomènes célestes, des forces qui se déchaînent à tout rompre, mais qui ne manquent pas d’alimenter le monde, fournit le paradigme de la pensée sur le monde sans lois universelles, autrement dit sans prévisibilité, évaluabilité et finalité. Parallèlement à la thermodynamique, elle initie une nouvelle désorganisation, une nouvelle promesse de renverser le monde.

Le renversement du monde est notre utopie, notre fantaisie la plus audacieuse. Le pilote de l’univers, d’après Le Politique de Platon, lâchant soudainement la barre du gouvernail, et le temps tourne en sens inverse ; le monde est secoué, il s’ébranle, s’écroule, s’effondre. Est-ce la fin du monde ? L’Apocalypse, la fin du temps ? Non. Le temps ne s’arrête pas. Il ne peut non plus être renversé. Il se re-tourne. Mais ce revirement ne renverse pas le temps, il ne le fait pas revenir à ses racines. Il le fait renaître – non pas au sens de réincarner ni de re-staurer, mais au sens de se sou-lever où il faut entendre le soulèvement, l’insurrection du temps: le sens archaïque de anastasis. Non pas une reconstitution, mais un soulèvement du temps. (stasisana-stasis). Le temps s’insurge, parce que Kronos est un double de Kairos. Le temps fait un tour autour de son axe, qui, elle, danse. La boussole chante Sud. Les sirènes du temps lui chantent Sud et Ouest.

Le renversement du temps est une force de la tendance contre-finale du monde. C’est un clinamen du monde, une déviation singularisant et renouvelant sa puissance. L’insurrection du temps n’est pas une apocalypse. C’est l’extension et l’espacement de la puissance du monde. 

L’irréversibilité du temps est une illusion, l’effet de la culture d’un milieu de prévisibilité. L’idée d’irréversibilité du temps, ontologique et/ou existentielle dissimule la dérive de la contre-finalité du monde qui fait du monde un monde. Pour qu’il y ait monde, il faut qu’il y ait une modalité pour le monde.

Le champ brut de forces devient monde à travers la forme de la déclination / clinamen : tendance. Ainsi, au sein même du cataclysme, poussent de nouveaux continents, de nouveaux mondes.