L’ALTERATION DU MONDE, TRADUIT EN JAPONAIS

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L’ALTERATION DU MONDE, TRADUIT EN JAPONAIS

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Boyan Manchev

L’ALTÉRATION DU MONDE. POUR UNE ESTHÉTIQUE RADICALE

Paris, Éditions Lignes, 2009

*

Traduction Japonaise:

世界の他化

ラディカルな美学のために

Traduit du français par Yumiko Yokota et Shiko Ioka

Tokyo, Hosei University Press, 2020

De la philosophie, oui, et de la plus pure. Et pourtant: il y a dans ce livre une vitesse, une puissance d’affirmation, une brutalité presque, aussi peu professorales que possible. Il y a beau y être question de Heidegger, Merleau-Ponty, Levinas, etc., c’est de Bataille, dont il y est davantage question encore, que ce livre tire ces qualités rares, et fort prometteuses. Un Bataille comme il n’a pas encore été lu ou pas assez et pas assez radicalement – pas assez radicalement en philosophe, le philosophe qu’il fut, le fût-il sur un mode «extravagant». Croyait-on connaître cette œuvre, on la découvre encore.

Michel Surya

L’Altération du monde mise sur un matérialisme radical. Alors que le monde s’altère chaque jour sous nos yeux, Boyan Manchev revendique, à la suite de Georges Bataille, le concept d’altération en tant que concept moteur d’une axiomatique aïsthétique, pour penser le monde dans son altération, en tant que cette altération même.

L’Altération du monde n’est pas un livre sur Bataille mais un livre à partir de Bataille. C’est vrai, son œuvre y est abordée dans le contexte de la philosophie de son époque – dans son rapport à la phénoménologie en général, à Husserl, à Bergson, à Heidegger, à Levinas, à Blanchot, à Merleau-Ponty, à Lacan. Avec la perspective ouverte par sa pensée, Bataille participe de plein droit (on ne l’a qu’assez peu soutenu) à la profonde transformation de la pensée philosophique moderne; non seulement il contribue aux questionnements principaux de son temps, mais il traduit aussi l’exigence de l’époque d’une manière à la fois intuitive et exemplaire. Or l’œuvre de Bataille fonctionne avant tout comme une modalité critique de la pensée, comme une perspective.

Boyan Manchev désigne la méthode de Bataille – visant à relancer l’effectivité philosophique – par le terme de surcritique. Le noyau de cette méthode, et par conséquent du livre dans son ensemble, n’est autre, on l’a vu, que le concept d’altération, introduit par Bataille dans le contexte de sa réflexion sur les «origines de la représentation figurée». Ce livre prétend en mesurer les conséquences, en l’expérimentant suivant trois modes, qui pour être différents n’en sont pas moins liés:

  1. Une axiomatique de l’expérience sensible, indissociable d’une vision de la matière et développée à partir du concept d’altération. Dans cette perspective, s’ouvre la question d’un matérialisme héraclitéen, «bas» selon le terme de Bataille: un matérialisme qui comprend la matière non pas en tant que substance en puissance mais en tant que puissance altérante.
  2. Une (sur)critique de la représentation et de sa visée «ocularcentrique» (selon le terme de Martin Jay), qui s’articule à l’égard de la critique radicale de la représentation effectuée par la modernité philosophique et artistique et, plus particulièrement, par la phénoménologie. Dans cette perspective, l’altération sera pensée en tant qu’alternative à l’opposition représentation-expression, alternative qui dynamise le champ esthétique.
  3. Une éthique radicale, dans la mesure où l’aïsthétique de l’altération débouche néces-sairement sur la question de l’autre. Ce qui pose la question du rapport du champ éthique au champ politique à travers une confrontation des visions de Bataille et de Levinas.

L’essentiel dans ce parcours consiste à éclaircir, à travers le nœud de l’altération, l’articulation commune de ces trois champs. Pour cela, l’auteur revendique une (paradoxale) non-disciplinarité méthodologique, dont Bataille est sans doute le représentant exemplaire. La perspective ouverte par le travail critique sous chacun de ces trois modes débouchera ainsi sur une prise de position par rapport à quelques-uns des questionnements déterminants de la philosophie contemporaine – le débat esthétique autour de la représentation; le débat éthique – politique au fond –, autour de la figure de l’autre; et le débat ontologique. Le fil rouge de ce trajet conceptuel est assuré par l’analyse critique du champ du visible – la vision, le regard ainsi que la figure du visage –, qui s’est réservé le statut d’accès privilégié à l’être. Cette analyse critique mène ainsi à une surcritique de l’expérience de l’être.

Les trois modes sont développés dans une perspective ontologique transformée qui ne manque pas d’affronter le monde dans son altération actuelle. Penser donc le monde dans son altération, en tant que cette altération même, veut dire suivre le geste surcritique de Bataille: briser l’oubli de la philosophie disciplinaire qui est l’oubli de l’agir dans le monde. Bataille brise cet oubli en réduisant les actualisations disciplinaires figées en formes discursives pour les ramener à leur puissance énergétique, opération que Manchev nomme illustration. L’illustration n’est pas le nom de la négativité du concept; elle est plutôt le degré intense de son effectivité: la transformation énergétique de la matière conceptuelle. L’illustration est une opération effective qui brise les chaînes de l’équivalence par la perspective de l’agir. Elle rouvre la puissance transformatrice du concept, non pour poser de nouveau l’exigence de transformer le monde mais pour transformer sa transformation.

«Selon Adorno, écrit Boyan Manchev pour présenter son livre, la dernière philosophie est celle où les concepts se transforment en images. L’illustration surcritique trace dès lors la limite de la philosophie: l’épithète de “dernier philosophe” s’accorde à Bataille mieux qu’à Hegel ou même à Nietzsche. La dernière philosophie n’est pas celle qui achève mais celle qui altère.»

BOYAN MANCHEV’S THE ALTERATION OF THE WORLD, TRANSLATED IN JAPANESE

A philosophical book, purely so. Yet again, a book guided by speed, by an affirming, almost brutal power – as little academic as possible. 

With these words the French writer and philosopher Michel Surya presents the book The Alteration of the World (L’altération du monde) written by Boyan Manchev. Issued in 2009 by the famous Parisian publishing house LignesThe Alteration of the World proclaims the idea of change as an immanent force of the world – an idea grounded in what the book elaborates as a program of radical aisthetic materialism. Its Japanese translation is made by the young Japanese philosopher Yumiko Yokota and comes as a result of nearly ten years of efforts.   Boyan Manchev’s first book in Japanese is published by “Hosei” University Press in the most prestigious Japanese series on contemporary philosophy Universitas which also brought out the works of Jacques Derrida, Gilles Deleuze, Paul Ricoeur, Hans-Georg Gadamer, Jürgen Habermas, Michel Serres etc.

As the world changes every day before our eyes, Boyan Manchev’s The Alteration of the World affirms the idea of change as the driving force of an alter-ontology which insists that the world be thought as a process of change, as this very change itself. (Announcement of the French edition)

„The ultimate philosophy is not the one that brings completion but the one that brings change.“ (Boyan Manchev)

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Boyan Manchev in conversation with Amandine André and Emmanuel Moreira for Au bout de souffle :

L’altération du monde, Boyan Manchev

The introductory part of Boyan Manchev’s foreword (written in 2017) to the Japanese edition of The Alteration of the World is available to read here.

The alteration of the world: on alter-ontology 

To my Japanese friends 

World horizons: metamorphoses 

What is the fate of matter in a world where a quasi-organic substance domineers over the alienated, plundered, mutilated world that is becoming a negation of the world? Where with each passing day the monstrous shadow of an immaterial Leviathan advances upon a breathless earth? What remains of our bodily matter, our desire and thinking, of the world’s matter? What are the forms and modalities, by virtue of which the world’s matter always traverses us, operates within us, restricts and governs us, yet gives a body to the potentiality for resistance, for pleasure, for freedom? Is it still possible to have a materialist frame of mind in this seemingly immaterial world?  

The question of materialism is the crucial question of today’s philosophy. Hence, this question is posed urgently and, as always, imperatively but under new, radically transformed conditions. Nowadays, we are forced to consider the possibility – a repulsive one, even if only in a hypothetical form – for a “transformation of the human being”, yet not so much in the sense of the new “transhumanisms”, as in the sense of the new political anthropotechniques: the life forms or, if we prefer so, the doubles, the daemons of life forms and their intrinsic plasticity presently become more and more seized and appropriated, so as to be substantialised – reduced to an yielding substance, to the matrix of a new form of standardised production.   

But then again, what is this materialism in question? What kind of materialism and in relation to what matter?

On a transformational materialism 

In order to offer a response to these questions, The Alteration of the World relies on a radical type of materialism. Published a decade ago, yet written in 2004-2005 (the manuscript rested in wait for the revival of the legendary publishing house Lignes, founded and headed by Michel Surya, the truest follower of George Bataille’s work), The Alteration of the World tried to resuscitate the question of materialism in today’s political and philosophical context and to outline the course of a modal ontology of existence: an alter-ontology. Its leading objective was to affirm – in the midst of the world’s transformation – the idea of the world as transformation itself: against change – the betrayal, if not the abolition – of the world, so as to affirm the world as change. Thus, the pioneering pledge of The Alteration of the World consisted in opening up the horizon for a new materialism and a new ontology to come, at a time when in the French and European contexts neither ontology, nor materialism existed as self-evident philosophical projects, irrespective of the powerful programs of Gilles Deleuze and later on Alain Badiou: it was not ontology, even less materialism, that was the battle-cry of the day.    

After the publication of The Alteration of the World, in the course of the last decade we witnessed the emergence of a whole series of new “tendencies”, often well mediated by the new relational means of current cultural economies that endeavour to react or respond to this new condition: “new” empirical philosophies, materialisms, transhumanisms etc. that, although defined by the exigency of our altered situation, are often tacitly controlled and even subordinated by it insofar as the new cultural economies they belong to constitute their symptom. Transformational materialism therefore sets itself the goal to act within stark opposition to the relational and/or “social” turn of recent decades: the dynamic exigence of matter (and) things opposes the performative relations of the network age. The secret exigence of things, the exigence of forces and desires, the exigence of freedom and justice demandingly resists the everywhere dominant reality of performative capitalism. Instead of coping with a sterile fixation on “relationality” or the instrumental relations, today we must face the complex processes, the agents and the operations, the complicated techniques and forms of production and organisation whose understanding would be the only means of achieving the transformation of the initial conditions.  

Here we may give the symptomatic example – the tendency obscurely defined as “object-oriented philosophy”, characterised by the attempt to oppose Kant’s alleged idea of the correlation between the objects of knowledge and human consciousness, hence – between essence and existence, so as to reverse it via the insistence on the ontological equivalence of the relations among the objects. Clearly and openly defying these new para-materialistic and quasi-materialistic obsessions even prior to their formulation, The Alteration of the World affirms the fact that the question of the world’s matter, of matter’s modes of expansion and transformational intensity, as well as the underlying question about the “objects” or “things”, is a question of crucial significance, inasmuch as it is a continuation and radicalisation of the question of subjectivity, i.e. of the agents and the forces. Furthermore, this question radicalises the political problem of decision, of discontinuance and of change. Instead of debating over “simple”, substantial or quasi-substantial things and relations (transformed into products), we must reformulate the question about the agents and the subjectivities, therefore the question about the conditions of change, of differing and ultimately – of decision (κρίσις).

Today we do not require a putative overcoming of Kant (who was blamed for the “correlationist” turn, even though Kant’s transcendental revolution is precisely an incision of any possible correlationism); on the contrary, today we face the necessity of formulating a new radically critical – surcritical – philosophy that would confront the things of the world not as phenomena of human consciousness but as subjective agents, as interspersing stellar nebulae of consciousnesses. We cannot exclude the forces, the dynamics and power of the chaos and the cosmos. Hence, our objective is to confront the things as agents of complex hetero-simultaneous processes, such that we ourselves compose through our activities. Transformational materialism establishes the preconditions for understanding of and experimenting with the poietic and the auto-poietic potentiality of things. There is no thing in stasis. Things are agents – acts, effecting a transformation of groups of conditions composed by certain forces.

Hence, the crucial questions of philosophy, science and modern politics are the following ones: What is subject, or more generally – what is agent? What is process? What is change? What remains unchanged? What is matter that persists in time and what is this matter in question? What is persistence? What is decision? What is the power of desire? What is the desire of things, the desire of matter itself? 

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This is why meteors must be understood as things of the world that traverse us, these metamorphic, dynamic, changeable, fluid bodies, disorganised, inert, quick, passing or persisting bodies that inhabit us, possess us, surpass us, stellar bodies that swarm within us, that are much too many, just like our brain cells, like the inorganic organs in our bodies, like the invisible prostheses that precede and exceed us as daemons of another age, of the other of time, as doubles of ourselves, secret, yet demanding, random, indispensable. The meteors, these celestial bodies or earthly stars that are no things or processes. Let us be possessed by them: they bring a different concept of matter that draws its force from the forces, the energy and the modalities that existed before the substance – by the accidental detour, clinamen – the intrinsic movement of meteors, (their) one and only substance, their dazzling matter.

The alteration of the world must not betray the world – it must change the world.

Translated from the French by Filip Stoilov